Nouveau voyage au pays d'autrefois by Suzanne Bernard

Auteur:Suzanne Bernard [Bernard, Suzanne]
La langue: fra
Format: epub

Bĕjīng, 24 avril.

Bien reçu ton fax. D’accord, on oublie, 0n tourne la page. L’affection (le mot est faible mais je n’en trouve pas d’autre) doit rester entre nous la plus forte.

Le chauffage est arrêté depuis le 15 avril. Enfin ! J’ai pu enlever les récipients pleins d’eau que je disposais devant les radiateurs pour humidifier l’air. Maintenant, les fleurs s’ouvrent partout dans la ville, mais le charme du printemps pékinois a disparu : trop de bruit, d’agitation, de pollution ! Au milieu des nouvelles constructions et du flot de voitures, les arbres en fleurs, pommiers, pêchers, ont l’air navré sous leurs bouquets. Mais il y a heureusement des endroits préservés, même au cœur de Bĕjīng, qui offrent au promeneur un havre de paix, dans un cadre parfaitement traditionnel. Ainsi, à quelques pas de la place Tian’Anmen, le parc Sun Yat-sen, avec ses eaux, ses rocailles, ses cyprès centenaires. Je m’y suis promenée l’autre jour avec un jeune traducteur chinois.

Nous sommes restés longtemps assis sur un banc, face à un étang qui semblait endormi depuis des siècles. Silence, calme, beauté. Un peu partout erraient des amoureux. Des solitaires, au pied des arbres, lisaient, rêvaient. Parfum de Chine éternelle, merveilleux oubli de tout ! Nous avons flâné dans les jardins, nous ne pouvions plus sortir du domaine enchanté… Je pensais à mon ami, et Huang pensait à sa fiancée. Cela nous rapprochait, c’était agréable, très doux. Ce qui n’a pas empêché que, dehors, quand nous avons retrouvé l’agitation frénétique, comme je demandais à Huang ce qu’il désirait, il m’a avoué : « Une voiture ! » en ajoutant qu’avec son maigre salaire il n’arriverait probablement jamais à se la payer. Il a déjà du mal à survivre.

Comment les jeunes échapperaient-ils aux mirages des biens matériels ? Comment n’aspireraient-ils pas à l’enrichissement et à la prospérité ? Le matraquage des médias est inouï. La Chine s’y connaît plus que tout autre pays pour exercer sur les esprits une action constante, soutenue, en profondeur. Bien peu de gens échappent au vent nouveau qui, balayant les vieilles valeurs, pousse à la recherche du gain et du profit, et transforme (irréversiblement ?) les mentalités. On s’efforce, partout, dans la presse, dans les films, dans les séries télévisées, de réhabiliter l’image du marchand traditionnellement méprisé. Bienveillant, sympathique, d’une excellente moralité, l’homme qui « fait de l’argent » devient tout le contraire de sa représentation traditionnelle. « Enrichissez-vous ! » disait déjà Dèng Xiăopíng en 1979 (j’étais là !). Avec la même détermination qui appelait des centaines de millions de Chinois à « se révolutionnariser » il y a trente ans, on les appelle à s’engouffrer dans le mouvement contraire. Beaucoup s’embarquent avec ardeur dans l’aventure, mais ils connaissent des fortunes diverses. Déjà, que de sacrifiés, de perdants, d’exclus ! Et on peut craindre pour l’avenir qu’il y en ait de plus en plus…

Comparé à ce capitalisme barbare et impitoyable, j’ai la surprise de découvrir que notre capitalisme à nous parait plein de bon sens, de modération, de

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